Andre Naude
Artist’s Statement
l y a toujours eu des femmes peintres en Haïti, mais c’est vraiment vers les années 1930-1940 que leurs œuvres sont exposées pour être vues par un public plus large que celui du cercle de leurs parents et amis. Dans ses écrits sur la femme haïtienne, Jasmine Narcisse mentionne qu’elles étaient une dizaine à participer à des expositions organisées au Club Union et au Cercle Port-au-Princien dans les années 1930. C’est à ces femmes alors que se sont jointes des étrangères, épouses d’Haïtiens. Mais rares cependant étaient celles qui, avant le Centre d’Art, pensaient à une carrière professionnelle. L’une d’entre elle était Andrée Malbranche (1920-?) dont on a peu parlé. Andrée Malbranche, dans sa volonté de faire de l’art une carrière, était, nous dit-on, très soutenue par sa famille, ce qui lui a permis d’aller poursuivre sa formation à l’étranger et même d'y exposer ses œuvres, notamment à Cuba. Il est cependant important de mentionner qu’elle a été l’élève de Xavier Amiama (1910-1963). Peintre professionnel, originaire de la République dominicaine, il s’est installé en Haïti au début des années 1930 et a offert des cours d’art à la jeunesse haïtienne. Dans sa peinture, Xavier Amiama s’est beaucoup intéressée aux gens du peuple dont il a fait des portraits impressionnants. Lors de sa première exposition au Centre d’Art en juin 1945, la critique avait retenu dans ses portraits «la désolation physique et morale» du sujet, «l’impression générale de misère qui n’est pas seulement physique.» On ne peut pas s’empêcher de croire que Xavier Amiama a fortement marqué l’œuvre d’Andrée Malbranche. Rentrée en Haïti, nous dit Michel Philippe Lerebours, elle s’est libérée des contraintes du milieu et des préjugés artistiques. Ses portraits de femme étaient ainsi différents de ceux, empreints de fantaisie, de beaucoup de ses contemporains, hommes et femmes. Dans une atmosphère presque toujours sombre, elle a représenté des femmes du prolétariat dont la dignité se voit au travers de leurs traits fatigués. Ayant participé en 1945 à la réalisation d’une très controversée murale dans la crypte de la chapelle de Ste-Thérèse à Pétion-Ville, elle est entrée dans l’histoire, nous dit encore Lerebours, comme étant la première femme à montrer le peuple dans l’art religieux en Haïti. Il faut signaler ici que les étrangères, mariées à des Haïtiens, ont été, avec le recul qu’elles avaient, sensibles aux questions sociales comme on peut le voir dans un dessin au fusain d’Andrée George Naudé de 1943. Les femmes ont donc eu une participation significative dans l’introduction du social dans l’art de cette époque, mais elles n’étaient pas les seules. Les voyages que faisait en Province Lucien Price lui ont fait découvrir une réalité haïtienne à laquelle jamais il ne serait confronté s’il était resté enfermé dans le milieu familial. Ainsi, le social va apparaître dans toute une série de ses encres et dessins au fusain. Ces portraits, comme j’ai eu à le dire antérieurement, portent la marque de cette expression forte d’artistes de l’École de Paris qu’il a rencontrés lors d’un séjour en France. Parmi eux, ce fusain qui a pour titre 10 heures du soir. Il n’y a dans ce dessin qu’une lumière venant de la droite et qui éclaire le vêtement du personnage baignant dans un décor sinistre. Le visage quoique sombre laisse voir des traits ébauchés qui disent une grande tristesse. Sa posture lui donne des allures d’un être en plein désarroi. Situant l’image dans le temps par son titre, Price a voulu ici créer la représentation de cette atmosphère pesante, maussade, que connaissent, la nuit, les hommes et femmes vivant dans des quartiers populeux de la ville. L’introduction dans l’art de thèmes inspirés de la réalité sociale du pays est en rupture totale avec la tradition et marque ainsi un pas de plus vers la modernité. Bien entendu, de telles vérités exprimées n’avaient rien pour plaire à ceux et celles qui ne voulaient pas les entendre et surtout qui ne comprenaient pas pourquoi des artistes issus des élites haïtiennes prenaient de telles positions. Lucien Price, on le sait, a été artiste, mais aussi un grand promoteur du syndicalisme. L’incompréhension dont il a été l’objet, comme cela a été dans le cas d’Andrée Malbranche, l’a fait sombrer dans un monde de silence.
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